(texte à mettre en parallèle avec la première vidéo)

En 2005, en mai pour être précis, un samedi alors qu’il faisait beau et chaud, je me lançai dans une entreprise, une expérience à proprement parlé un peu particulière. Je me suis mis sur un socle, droit comme un piquet et muet comme une carpe, équipé d’un casque avec, à quatre mètres devant moi, sur une table montée sur tréteaux, cent vingt oeufs.

Ce dispositif était installé sur une place longeant la principale artère piétonne et commerçante d'une ville de taille moyenne. Bien sûr aucune indication n’était donnée, aucun panneau. Quant à moi, je devais rester coi tout au long de l’expérience. L’ensemble fut filmé depuis un balcon environnant à distance suffisante pour que la caméra ne puisse être vue.

Je voulais savoir si des individus oseraient me jeter les oeufs. Serait-il si simple de réveiller des pulsions de violence latente à l’intérieur d’une foule passante ?
Etant parti du principe que non, j’avais des complices. Ceux-ci devaient intervenir 30 minutes après le début de la performance et “amorcer le mouvement”, partant du principe qu'une fois le premier oeuf lancé les autres suivraient. Grossière erreur qui fut la mienne de prévoir, de vouloir maîtriser un espace qui par nature est incontrôlable.

Comme le dit très bien Guillaume Désanges : “L’espace public, de par son énergie de vie, est le lieu le meilleur, et aussi le pire : celui de l’incomfort, de l’imprévisible, du chaos. On n’y est jamais chez soi. Toute intervention y reste hors de contrôle. Dans l’espace public, il faut accepter la possibilité exceptionnelle d’une confrontation inédite, brutale, spontanée avec l’art, mais aussi, et dans le même temps, le rejet, l’indifférence, le mépris.”(mouvement n°44 , juillet/septembre 2007).

------- mise à jour en 2012 -------

Je reconnais avoir complètement été dépassé par les évènements de cette après-midi-là. J’y suis allé très naïvement. Le fait d’avoir prévu des complices le prouve bien mais c’est une expérience que je ne regrette pas du tout. Bien au contraire. Avec une installation aussi suggestive il est normal que cela “dégénère”.

Je ne dis pas qu’il est normal de jeter des œufs sur un inconnu et ce même s’il le suggère, je dis juste qu’il est compréhensible que cette éventualité arrive en réponse à ma proposition.

Il était alors évident pour moi que l’aventure ne faisait que commencer. Ce dispositif devait être renouvellé, décliné, détourné. Ce n’est que dans la répétition que ce dispositif prendrait sens. Changer le lieu, le système de captation, la disposition des éléments, etc. Chaque élément doit être défini clairement.

Les sciences sociales et la psychosociologie étaient la solution. Allier l’artistique au scientifique, créer une sphère d’échange, un terrain de recherches entre art, sociologie et psychologie sociale. C’est ainsi que je découvris le groupe “UNTEL”, le collectif belge CAP ou encore le “collectif d’art sociologique”. Bien sûr cette liste est loin d’être exaustive mais regroupe trois éléments forts de la recherche d’une “esthétique relationnelle” (pour reprendre un terme de Nicolas Bourriaud) développée dans les années 70.

Il me semble important de revenir à la source et d’en comprendre les enjeux avant d’aller plus loin.

L’art sociologique est un mouvement artistique, voire une méthode de recherche artistique, développé à partir de 1971 à Paris, par Hervé Fischer, Fred Forest et Jean-Paul Thénot, qui ont fondé en 1974 le « collectif d’art sociologique » et publié une série de manifestes (publiée dans le journal Le Monde).

Voici comment Fred Forest définissait l’art sociologique en 1974 :
«L’apport spécifique de l’Art sociologique ne tient pas seulement dans la remise en cause qu’il fait de l’art lui-même mais surtout dans l’analyse critique de la société par une «pratique sociologique interventionniste». Cette pratique sociologique explicitement déclarée tend à considérer l’Art sociologique comme instrument d’action face à la réalité sociale et individuelle. En conséquence «l’art sociologique» n’est pas de l’art. Il n’est pas sociologie de l’art. Il est une éthique et une praxis de la vie qui fonde ses moyens sur l’élaboration empirique d’une pratique sociologique sous prétexte de l’art, ou, si l’on préfère sous son couvert».